En premier lieu, expliquer le choix de vouloir travailler sur cette pièce d’Hanokh Levin.
J’ai rencontré l’écriture de Levin en tant que comédien et assistant metteur en scène auprès de François Rancillac sur la pièce Kroum l’Ectoplasme.
Cet auteur encore méconnu en France a une écriture et une vision du monde farouches et universelles. Ses textes sont une « matière à jouer », ils sont d’une efficacité redoutable et parlent de l’humain d’une manière sauvage et terriblement vraie.
C’était un génie qui a su parfaitement étudier à la loupe les dérives du genre humain. Il est fascinant d’observer à quel point il sait décaler à peine des situations quotidiennes banales pour en tirer la substantifique moelle, et les porter aux frontières du tragique et de l’absurde tout en nous révélant à nous, humains, que cela pourrait nous arriver demain.
L’oeuvre de Levin, considérable par son ampleur, sa diversité (du cabaret à l’épopée tragique), est nourrie de toute l’histoire du théâtre : il a évidemment lu, et très bien lu, Euripide, Tchekhov et Beckett autant que Feydeau et Ionesco. Les pièces de Levin ne ressemblent pourtant à aucune autre, ni en Israël, ni en Europe. Et c’est sans doute parce qu’elles sont si particulières, si personnelles, qu’elles peuvent toucher à l’universel.
La rencontre avec l’écriture de cet auteur israélien a été pour moi très enrichissante dans mon travail quotidien. J’ai rencontré son écriture presque comme une évidence : j’y voyais un relais avec les fondements des questions qui m’animent.
Ainsi, nul n’est besoin de connaître le petit quartier de Tel-Aviv où s’agitent les personnages de Popper pour ressentir cette sensation d’étouffer entre les quatre murs d’un immeuble, d’une chambre à coucher ou d’une existence… Enclins au bonheur et à l’accomplissement à travers le quotidien de leur couple, Shvartz et Shvartziska se retrouvent ébranlés par une drôle d’histoire de doigt que l’une n’a pas voulu se laisser sucer par l’autre, et entraînent avec eux tout le voisinage dans la remise en question de la tranquille normalité de leur ordinaire.
Dans la pièce, on rencontre trois autres personnages : Popper, le voisin secrètement amoureux de Shvartziska, Katz, l’ami intime de Popper qui trouve un sens à sa vie à travers le bonheur de celui-ci, et Koulpa, prostituée débauchée sur un quai de gare pour servir la vocation de « femme modèle de Popper ».
C’est une pièce qui conditionne la formule « le bonheur des uns fait le malheur des autres » puisque le couple Shvartz ne peut être heureux que si Popper va mal et inversement. Personne n’a conscience de cette vérité inversée du bonheur mais chacun voit dans la détresse de l’autre un moyen d’aller mieux.
Il y a une dizaine de chansons cabaret dans le texte, comme dans la plupart des pièces de Levin. Chaque chanson est soit une suspension du temps qui permet au personnage de raconter ce qu’il a profondément caché en lui, soit un moyen d’exprimer un « trop plein » de douleur ou de joie.
Popper est une œuvre qui porte en elle la cruauté implacable d’une réalité qui fait sens chez chacun. Elle nous parle à l’oreille immédiatement et résonne profondément en nous. Elle nous entraîne sans concession dans l’épicentre des joies et des misères des relations humaines. La peur d’être seul, de mourir sans personne pour pleurer derrière sa tombe, que l’autre soit heureux,… sont des thèmes génériques de cette pièce et de toute l’œuvre de Levin.
Levin fait du rire un usage « critique », c’est-à-dire étymologiquement : « qui donne à voir ». Si cette pièce devait être un prétexte, gageons que la seule justification raisonnable que je pourrais donner à l’envie que j’en ai est la source de vie impérissable qu’elle porte en elle, prétexte immédiat à jouer et à mentir vrai.
et en second lieu, parler de la conception.
Cette pièce est faite de courtes scènes (33 exactement) et ne propose que quatre lieux : l’appartement des Shvartz, l’appartement de Popper, un hall de gare et une rue. Le hall de gare et la rue ne représentent que quatre scènes, l’intrigue se déroulant essentiellement entre l’appartement des Shvartz et celui de Popper. Levin ne précise rien quant au décor, il écrit seulement “chez untel ou chez untel”.
Nous avons imaginé, avec Steen Halbro, une scénographie extrêmement simple, un prétexte à jouer immédiat où le théâtre serait dans le théâtre.
Trois barres suspendues sur lesquelles seraient cintrés des centaines de costumes dessineraient « l’espace mental » dans lequel errent les comédiens quand ils ne sont pas en jeu.
Un carré rouge de quatre mètres sur quatre serait posé au centre et servirait « d’espace de jeu » pour toutes les scènes.
On pourrait entrer et sortir sans arrêt et jamais par le même endroit ce qui ne figerait pas les codes de l’espace. Il n’y aurait pas de coulisses, pas d’échappatoire pour l’acteur une fois en jeu.
Le but serait de ne pas être dans une représentation naturaliste mais de laisser libre chaque spectateur d’imaginer l’intérieur de l’appartement de Popper ou de celui des Shvartz.
CRÉATION 2007
Comedie avec chansons
Texte
Hanokh Levin
Mise en scène
Laurent Brethome
DISTRIBUTION
Avec
FABIEN ALBANESE
ANTOINE HERNIOTTE
GEOFFROY POUCHOT- ROUGE-BLANC
ANNE RAUTURIER
JULIE RECOING
et
GERARD BARATON
accordéoniste
JEAN-LUC FRAPPA
accordéoniste
Assistante à la mise en scène
ANNE-LISE REDAIS
Texte français, traduit de l’hébreu
LAURENCE SENDROWICZ
Plasticien, scénographe, créateur costumes
STEEN HALBRO
Créateur lumières
GUILLAUME COUSIN
MENTIONS DE PRODUCTION
Coproduction
La Comédie de Valence Centre Dramatique National Drôme-Ardèche et la Compagnie Le Menteur Volontaire
Aides à la création
la Ville de La Roche-sur-Yon, le Conseil Régional des Pays-de-la-Loire, la DRAC Pays-de-la-Loire et la DRAC Rhône-Alpes.
Soutiens
Le Manège Scène Nationale de La Roche-sur-Yon, le Théâtre de la Croix-Rousse Lyon et l’Amphithéâtre de Pont-de-Claix.
TÉLÉCHARGEMENTS
CRÉDIT PHOTOS :
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